L’ONU et le recours à la force armée II

Le blog « L’ONU et le recours à la force armée » a suscité deux réactions, l’une pertinente de Paul Benalloul : « Je sens une absence, laquelle résultait sans doute de ton choix de privilégier le coté matériel des forces armées sans vouloir préciser les stratégies alternatives. OK certes pour une force onusienne multilatérale, mais pour quoi faire ? Au service d’objectifs pouvant réunir un consensus international sans doute, mais lesquels ? Et établis comment ? ». L’autre de Georges Menahem qui fait aussi un constat que je rejoins : «  Si le problème concerne de graves contradictions politiques dans un pays de type par exemple de blocage électoral au Gabon, d’affrontements dramatiques en Syrie, que peut faire l’ONU si ce n’est des interventions que certaines puissances chercheront à orienter en faveur de leurs intérêts ? » et de poursuivre : « La seule action positive, à mon sens, serait que l’ONU, à travers son Assemblée Générale, bloque toute intervention extérieure et laisse les forces sociales du pays concerné trouver la meilleure solution. »

Oui, il est des situations qui exigent le recours à la force, il est des conflits interétatiques, ethniques, confessionnels, de libération qui nécessite une interposition armée, il est des totalitarismes dont la violence oblige à intervenir, il est des peuples à secourir, ce sont les justes raisons invoquées lors des interventions des coalitions internationales. Mais ces « guerres justes » sont un échec ; elles ont déstabilisé des régions, ravagé des pays, meurtri des peuples, suscité des abominations, provoqué la plus grande crise migratoire depuis la Seconde Guerre mondiale, elles ont été la cause de millions de morts en Irak, Afghanistan, Pakistan, Syrie, Libye, Yémen et Somalie. Cette réalité n’est pas due à des erreurs de jugement, à des événements incontrôlables ou imprévisibles, mais résulte de politiques conçues et décidées dans un esprit hégémonique, sous couvert de l’ONU.

Ce constat fait, les réactions de mes amis Paul Benalloul et Georges Menahem soulignent l’utopie (consciente, dans le cadre d’une conférence sur le thème : Comment améliorer l’ONU ?) de ma conclusion que je rappelle : Une stratégie pour la paix et la sécurité internationales, jusqu’au recours à l’intervention armée, comme il est inscrit dans la Charte, n’est possible que par une révolution copernicienne au sein de l’ONU. Cela demande de mettre fin aux mandats de coalitions militaires de justiciers et au déploiement de troupes hétéroclites sous équipées et, comme le demande la Charte, que se crée une force onusienne multilatérale dans sa composition et son commandement, force qui soit en capacité d’interventions militaires, de négociations diplomatiques et de rétablissement de la paix. Entre la raison ou la barbarie, à chacun d’entre nous qui sommes sujets de l’Histoire, d’en influer le cours.

Oui, mais, principe de réalité, le système onusien n’est pas aujourd’hui en mesure d’effectuer cette révolution copernicienne. À la question sommes-nous dans un monde suffisamment sage, égalitaire et démocratique, débarrassé de rêves de puissance, de mentalités de domination, de comportements d’arrogance, pour qu’un État ou un groupe d’États décident de la souveraineté d’autres peuples ? Les faits montrent que non.

Vingt ans après l’affirmation de Mario Bettati que « le devoir d’ingérence dans les affaires du monde est lié à l’universalisme de la condition humaine », en raison des stratégies militaires et des méthodes de guerre adoptées, de l’absence de considération pour l’histoire, les cultures et les ressentis des populations concernées, ce devoir d’ingérence est discrédité. Là où devait être promue la démocratie, n’a été apportée que la violence, là où le despote est tombé, règne le chaos. – Lors de la guerre du Golfe, du Kosovo, d’Irak, d’Afghanistan et de Libye, des personnes, des journaux, des mouvements ont alerté sur les politiques interventionnistes et ont dénoncé leurs effets.

Est-ce la condamnation de l’ONU ? Nullement, seule institution universelle fondée sur le principe du multilatéralisme elle est un bien précieux à défendre contre ceux qui l’instrumentalisent ou souhaitent sa disparition. Les opérations de Casques bleus doivent se poursuivre, avec des moyens et des directives qui répondent aux besoins des interventions, c’est la responsabilité des États, mais aussi de la société civile qu’il en soit ainsi, mais le Conseil de sécurité ne doit plus mandater des coalitions militaires internationales. Ce qui signifie, terrible régression, accepter « la souveraineté garantie mutuelle des tortionnaires ». Ce qui signifie, lors de conflits internes, laisser les forces sociales du pays concerné trouver une solution, ce qui, il faut regarder la réalité en face, s’effectue souvent dans l’horreur, mais le remède de l’ingérence a été pire que le mal, les interventions militaires sous mandat de l’ONU ont multiplié les abominations et propagé les ressentiments que l’on sait, générant les pires atrocités et nourrissant des idéologies mortifères. Sans un autre rapport de force au sein des Nations Unies, le sinistre principe de réalité fait loi.

Et Daech ? Il ne s’agit pas de se dérober devant l’horreur que cela représente principalement pour les populations musulmanes. Daech est une déviance dans l’islam, comme le christianisme et d’autres religions en ont connu dans l’Histoire ; elle doit être combattue, mais, affaire de tous, elle doit l’être par tous, dans l’esprit des fondements multilatéralistes de l’ONU et non avec des coalitions conduites par les puissances occidentales, la Russie ou par des puissances régionales, Turquie, Iran, Arabie saoudite et Qatar. Certaines sont directement responsables du drame irako-syrien, aucune n’est là pour les intérêts des Nations Unies, toutes interviennent avec des visées de grandes puissances ou de puissances régionales.

Il est des causes qui dégagent un consensus au-delà des antagonismes et des géopolitiques, combattre le nazisme en a été une, une conception occidentale de l’ONU en est née. Le tiers-monde a imposé au sein des Nations unies, avec le droit à l’autodétermination des peuples, la décolonisation, modifiant un temps, en son sein, le rapport de forces, mais sans modifier l’institution. Combattre l’abomination Daech et ses déclinaisons devrait, si le multilatéralisme qui est au fondement de l’ONU parvenait à prévaloir, dégager un consensus qui insuffle une conception, une vision, plus universelle de l’ONU. C’est là remplacer une utopie par une autre… le pire n’est pas inéluctable.