La sortie de la pandémie suscite beaucoup de débats, de déclarations et d’initiatives pour que « le monde d’après ne soit pas comme celui d’avant », que les plus pauvres et plus vulnérables ne soient pas les sacrifiés. Mais la crise étant planétaire, se pose une autre question dont les conséquences peuvent être grandes pour les peuples : quel sera le monde d’après, quelles seront les relations internationales au sortir de la pandémie, seront-elles plus multilatérales (dans un monde hégémoniquement capitaliste, elles ne peuvent être solidaires) ou plus antagonistes ?
La situation actuelle présente beaucoup d’inconnues, mais le cadre dans lequel les relations internationales vont évoluer se profile. Un premier constat, depuis le tournant du siècle on est passé d’un monde où les États-Unis étaient hégémoniques à un monde considéré par les spécialistes comme multipolaire (apolaire ou pluripolaire), avec comme principales puissances les États-Unis, la Chine, l’Europe, la Russie et l’Inde auxquelles s’ajoutent des pôles émergents, l’Indonésie, le Brésil ou le Mexique. Cette vision n’est-elle pas dépassée, n’est-ce pas une nouvelle bipolarité qui se profile, entre les États-Unis et la Chine ? Les moyens et capacités économiques, industriels, financiers, militaires, scientifiques de ces deux puissances sont aujourd’hui incomparables comparés à ceux de tous les autres États ou ensemble d’États comme l’Union européenne. Ce nouveau monde bipolaire qui se profile est totalement différent de celui de la guerre froide où s’affrontaient les États-Unis et l’Union soviétique.
Première différence, aucune puissance ne pouvait se situer en dehors du camp atlantiste ou du camp soviétique : la troisième force qui émergea (Bandoeng et les 77), était une coalition des États du tiers-monde décolonisés, mais nullement une autre puissance. Seconde différence, la bipolarité Chine/États-Unis n’exclut pas d’autres pôles, la Russie, l’Europe et l’Inde interfèrent. Troisième différence, la principale, alors que le monde bipolaire au XXe siècle était marqué par la confrontation entre deux idéologies, capitaliste et communiste, s’opposant irréductiblement, nous sommes aujourd’hui dans un système-monde capitaliste, dominé par la pensée néo-libérale.
Ce que la pandémie a changé dans les relations internationales.
La crise sanitaire a vérifié la tendance à ce nouveau bipolarisme et l’a accélérée, des déclarations des États-Unis et des pays occidentaux visant la Chine et les réactions de la Chine en sont un indicateur. L’appréciation portée par les pays occidentaux sur la Chine et sa politique pour confiner et réduire l’épidémie s’est fortement modifiée au cours de la propagation du Covid 19 et pour comprendre cette évolution il est utile de revenir sur la phase initiale de la pandémie.
L’économie chinoise mise à l’arrêt, les États-Unis et l’Europe se pensant préservés se sont dans un premier temps, interrogés : comment l’économie chinoise s’en remettra-t-elle ? Puis, ils se sont inquiétés des conséquences que l’arrêt de l’économie chinoise pourrait avoir pour leurs propres économies. Quand l’épidémie s’est propagée en Europe puis aux États-Unis les positions adoptées à l’égard de la Chine par les gouvernements et les médias occidentaux ont alors changé de nature.
Propagation de l’épidémie en Chine
Ces changements d’attitude et de jugement vont s’effectuer en deux temps. Dans un premier temps, bien que prévenus des risques de propagation et de la gravité de l’épidémie, plusieurs pays occidentaux ont eu une gestion de la crise sanitaire qui a révélé une impréparation et de graves failles dans le système de santé (en personnel, équipements et médicaments), des dysfonctionnements sont aussi apparus concernant les politiques préventives et l’organisation du confinement, ce qui a suscité de fortes critiques dans la population. Pour détourner ces critiques, les gouvernements se sont défaussés de leurs responsabilités : la Chine, pays où le virus est apparu, devient le responsable désigné.
La critique va viser la façon dont la Chine a géré la crise sanitaire. Les arguments avancés par les gouvernements et médias occidentaux sont : des retards dans la détection du virus, le silence des autorités chinoises sur l’épidémie, des manquements dans les informations scientifiques communiquées sur le Covid-19, des mensonges sur le nombre des morts… Tout devient l’objet d’insinuation, de critiques et même d’accusations.
Mais les conséquences économiques de la crise sanitaire dans les pays occidentaux (augmentation du chômage, de la pauvreté, de la mortalité, principalement parmi les plus précaires économiquement) créent dans ces pays un mouvement de critiques et de dénonciations des politiques néo-libérales suivies depuis plus de quarante ans par les gouvernements, mouvement qui inquiète d’autant plus qu’il est imprévisible dans ses développements. La critique de la Chine, se transforme alors en une campagne contre la Chine, toutes les mesures prises deviennent objet de critiques : gestion de l’épidémie étatique, autoritaire, totalitaire, discipline imposée, absence de libertés individuelles et de démocratie.
En adoptant le confinement et ayant montré son efficacité, la Chine et les pays asiatiques ont, de fait, imposé son recours au reste du monde. Mais le confinement à une conséquence inconcevable et sans précédent dans des pays régis par l’économie de marché : un arrêt de l’économie. Des gouvernements ont cherché d’autres voies (notamment l’immunité collective), pour empêcher un blocage de l’économie, la plupart ont dû y renoncer en raison de la dangerosité du Covid-19. Pour les tenants du néo-libéralisme, la Chine ayant fait prévaloir le confinement comme la réponse la plus efficace au virus, il en découle un contentieux avec Pékin et avec l’OMS qui a préconisé son adoption.
Dans les opinions publiques occidentales, les mesures de confinement (mêmes laxistes) provoquent objections et réticences. Cela demande d’être analysé. Il y a dans ces réactions une part d’occidentalocentrisme, le confinement tel qu’il a été appliqué en Chine et dans les pays asiatiques n’est pas une réponse « occidentale », individualiste à l’épidémie. S’il fut adopté dans des pays occidentaux, il leur est culturellement étranger, il est ressenti comme une atteinte aux « libertés individuelles », libertés individuelles qui, faut-il le rappeler, à pour limites les moyens économiques dont chacun dispose. Le fait que, pour la première fois, un mode de penser et de fonctionnement non occidental se soit imposé (même de façon laxiste) déstabilise un monde occidental ayant pour habitude d’imposer ses solutions au reste du monde.
Toutefois, la cause essentielle des tensions actuelles avec la Chine est plus profonde, elle tient principalement aux conséquences économiques du confinement dans un rapport économique mondial concurrentiel. Les économies des principaux États occidentaux sont directement touchées, dans leurs marchés intérieurs et dans les échanges mondialisés, d’autant plus que la pandémie restant incontrôlable, les conséquences économiques et sociales restent imprévisibles. Pour en limiter les effets, d’énormes moyens sont mobilisés, les États-Unis, les pays européens, l’Union européenne et les banques centrales font tourner la planche à billets, les milliards de $ et d’€ s’ajoutent aux milliards de $ et d’€ pour sauver le système, avec un risque majeur, celui d’une bulle financière incontrôlable.
L’émergence d’une inquiétude majeure pour les pouvoirs politiques et économiques occidentaux
À la crainte de la crise économique, sociale et sanitaire, s’ajoute pour les pouvoirs occidentaux, principalement au sein du courant atlantiste (par référence au Pacte atlantique), la crainte que la crise économique résultant de la pandémie puisse affirmer la bipolarité entre les États-Unis et la Chine et modifier le rapport de force entre les deux pays. Psychose que partagent les gouvernements européens en raison de leurs liens avec Washington. Le fait que dans certains domaines (ceux du médicament ou des masques par exemple) des États européens se sont trouvés dans un état de dépendance à la Chine donne argument à cette réaction.
États-Unis-Chine : puissance et rivalité. Major-Prépa
Dès lors, la critique de la Chine devient politique et idéologique, la question posée est celle du rapport de force géoéconomique global, de son évolution dans une situation où, aux États-Unis, se conjuguent une mauvaise gestion de la crise sanitaire, une crise économique, une crise sociale et raciale. À cela s’ajoutent les conséquences du caractère incontrôlé de la politique menée par Donald Trump qui affaiblit un des fondements de l’influence politique des États-Unis dans le monde depuis le sortir de la Seconde Guerre mondiale, son soft-power.
Certes, les comportements de Donald Trump troublent les relations entre les États-Unis et les États européens, d’autant que des mesures prises par lui vont à l’encontre de leurs intérêts. Cependant, leur alignement sur les États-Unis est une certitude du fait des liens historiques, idéologiques, économiques et politiques qui lient les classes dirigeantes de l’Europe avec celles des États-Unis, « alliés » idéologiques et militaires (dont les piliers sont le néo-libéralisme économique et l’OTAN comme bras armé). En conséquence, la contradiction entre un monde de raison et un monde concurrentiel s’en trouve, au sortir de la crise pandémique, accentué.
Mike Pompeo
Seule la guerre avait jusqu’ici empêché la tenue des Jeux olympiques, l’Histoire ne se répète pas, mais bégaie, en témoignent la similitude des paroles de Mike Pompeo appelant, le 24 juillet 2020, le « monde libre » à « triompher » de la « nouvelle tyrannie chinoise » et déclarant que « L’heure est venue pour les nations libres de passer à l’acte » avec « une nouvelle alliance des démocraties » et celles de Churchill à Fulton, le 5 mars 1946, qui ne croit pas « que la Russie soviétique désire la guerre », mais considérant que « personne ne sait ce que la Russie soviétique et son organisation communiste internationale ont l’intention de faire dans l’avenir immédiat ni où sont les limites, s’il en existe, de leurs tendances expansionnistes et de leur prosélytisme », juge indispensable que les « démocraties occidentales s’unissent dans le strict respect des principes de la Charte des Nations Unies ».
Winston Churchill à Fulton
La situation créée oblige à rappeler le jugement de Thucydide observant les antagonismes entre Athènes et Sparte, Thucydide relève comment une nation dominante, voyant sa suprématie apparemment menacée par une puissance montante, règle la question par la guerre. Les peuples en sont les premières et principales victimes mais que pèsent les leçons de l’Histoire face aux volontés de puissance ?