Nous nous sommes tous abandonnés à des conversations du café du Commerce, en sortant amusé, attristé ou plus souvent catastrophé. La politique est un des ressorts de ces bavardages, mais verve, stupidité ou mauvaise foi, ont l’avantage d’être limitées à un auditoire restreint et hors la jubilation, le défoulement et le fiel du moment, cela n’est d’aucune importance, la vie politique ne s’en trouve aucunement influencée.
Médias et réseaux sociaux ont modifié les choses. Les discussions de café du commerce sont partout, omniprésentes à la télévision dans les informations en continu, elles ont leurs espaces à la radio, envahissent les commentaires des lecteurs de la presse en ligne, colonisent Twitter, Instagram, Facebook end Co. Facilité d’accès, facilité d’exister, ce qui était à quelques-uns devient à des millions, influençant dès lors la vie politique, à droite toute, il faut le constater.
Les médias à part quelques îlots sont sous contrôle des États et de l’argent. S’agissant de la presse écrite, rapport conjugué d’adhésion et d’habitude, ne serait-ce que pour des raisons économiques, on choisi et sélectionne selon ses convictions les journaux lus et consultés, quitte à faire le constat de l’uniformisation des informations et des opinons passées au mixer de « l’objectivité ».
Si la presse écrite a perdu de son influence, elle reste dans un rôle de « faiseur d’opinions » acquises. De même, on choisit ses radios que ce soit comme bruit de fond ou source d’informations brassées à la machine à laver de la publicité. L’écoute est plus facile que la lecture, la force d’influence de la radio est donc plus grande, mais plus éphémère, l’écrit reste. Mais le mal profond du journalisme, c’est qu’à la censure du Service des Liaisons interministérielles pour l’Information de Peyrefitte, a succédé un très douteux état de connivence et de promiscuité entre le monde politique et celui des médias.
Les réseaux sociaux ne sont pas moins dans les mains de l’argent, mais ils relèvent de l’anarchisme du profit. S’ils préoccupent les pouvoirs par leur capacité de mobilisation ou par les fake news, théories complotistes et déclarations de haine qu’ils répandent, fascinés, les politiques (et journalistes) en sont accrocs et si abandonnent sans retenue.
Exister sur les réseaux sociaux témoigne d’une appartenance, appartenance plus aliénante que libératrice à un monde narcissique addictif, plus triste encore que la société du spectacle. Un monde dans lequel on répand son incontinence verbale, sans lire, sans écoute, sans besoin de convaincre, la condamnation et l’insulte tenant lieu d’argument. Les dérives, jusqu’à l’abominable, bien réelles des réseaux sociaux peuvent avoir une audience de masse, mais suscitent des rejets et, émiettée entre clans ou sectes, leur influence s’inscrit difficilement dans le temps.
Le grand manipulateur, c’est la télévision, avec comme fer de lance les informations en continu. La force de l’image, qui constitue l’attractivité et la facilité de la télévision, se délite très vite quand, tournant en boucle, elle devient répétitive, d’où la nécessité d’accrocher et de maintenir le téléspectateur passif devant un écran. Les débats des informations en continu, logorrhée de la libre expression, jouent ce rôle. Compétences et insuffisances confondues, on y cause de tout, passe en revue l’actualité la plus futile et la plus grave, chacun dans sa posture d’expert, du réfléchi au bouffon, intervient sous la baguette d’un meneur de jeu qui a l’audimat dans la tête. Il n’est pas de meilleure démonstration, terrifiants pépins de la réalité, que de réentendre six mois après des débats des émissions d’informations en continu. Tout cela ne serait que dérisoire si ce flux de conversations du café du commerce servies jusque dans son fauteuil, ne distillait un cocktail de n’importe quoi et de n’importe comment, pour façonner les opinions.
La question est sérieuse. L’efficacité de la télévision à modeler les opinions n’est plus à démontrer, celle de Berlusconi l’a fait dans le domaine des paillettes, aujourd’hui, les chaînes d’informations en continu déversent, en conscience, des conceptions réactionnaires et racistes qui constituent, objectif réussi, une composante essentielle de la droitisation de l’opinion.
La menace de dérives politiques induites est réelle. Programmées par le pouvoir et l’argent, les spin doctors et autres communicants, les conversations du café du commerce des informations en continu ont leurs têtes de gondole, largement gratifiées, mais les miroitements de la « célébrité » du petit écran rendent otages (et pour certain, complices) ceux qui y participent. On entend l’argument, « ne pas y aller c’est laisser la parole aux autres », sauf que, ingrédient de toute bonne pièce du théâtre de boulevard, ils servent de faire-valoir.
Endoctrinement programmé et organisé en recourant à la palabre des conversations du café du commerce télévisées, avec ses jeux de rôles entre la tarte à la crème du « bon sens » populaire, le clash qui pimente reproduit par les échotiers, l’envolée verbeuse ou le masque de « l’objectivité », on est face à une opération de détournement de la démocratie encore résistible… pour combien de temps ?