Les Sahraouis, les « natifs » comme les appelaient les colonisateurs espagnols à la fin du XIXe siècle, sont un peuple vivant dans le Sahara occidental et l’espace saharien. Partage colonial, lors de la Conférence de Berlin en 1885, les puissances reconnaissent la domination espagnole sur la région qui devient en 1924 le Sahara espagnol. En 1963, dans le contexte de la décolonisation, l’ONU inscrit le Sahara espagnol dans la liste des territoires autochtones dont « les populations ont vocation à leur autodétermination » et un mouvement de libération s’organise, le Frente Popular para la Liberacion de Sagui et Hamra y Rio (Front Polisario).
Devant la force des mouvements de libération et le cours irréversible de la décolonisation, l’Espagne, en 1974, accepte d’organiser un référendum d’autodétermination dans le Sahara espagnol. Le Maroc (comme la Mauritanie) a des prétentions sur ce territoire et Rabat demande à la Cour internationale de justice (CIJ) de statuer sur son droit de souveraineté. La CIJ rend, le 16 octobre 1975, un avis sans équivoque : « Considérant que le Sahara occidental était certes peuplé par des populations nomades au moment de la colonisation par l’Espagne, mais il n’en demeurait pas moins que ces populations étaient socialement et politiquement organisées en tribus et placées sous l’autorité de chefs compétents pour les représenter. De ce fait, le Sahara occidental n’était pas un territoire sans maître susceptible d’acquisition par une puissance occupante » et de conclure «La Cour conclut que les éléments et renseignements portés à sa connaissance n’établissent l’existence d’aucun lien de souveraineté territoriale entre le territoire du Sahara occidental d’une part, le Royaume du Maroc ou l’ensemble mauritanien d’autre part. La Cour n’a donc pas constaté l’existence de liens juridiques de nature à modifier l’application de la résolution 1514 quant à la décolonisation du Sahara occidental et en particulier l’application du principe d’autodétermination grâce à l’expression libre et authentique de la volonté des populations du territoire. »
Hassan II procède alors à un coup de force contre le droit international et les droits légitimes et reconnus du peuple sahraoui. Osant déclarer « Les portes du Sahara nous sont juridiquement ouvertes, tout le monde a reconnu que le Sahara nous appartient depuis la nuit des temps. Il nous reste donc à occuper notre territoire », le 6 novembre 1975, mobilisant 350 000 civils et 20 000 militaires marocains, il organise la Marche verte et occupe la colonie espagnole. S’opposant à l’occupation et se fondant sur la décision des Nations unies le Front Polisario proclame en 1976, la République arabe sahraouie démocratique (RASD).
La question du Sahara occidental implique territorialement, politiquement et historiquement, non seulement le Maroc, la Mauritanie et l’Espagne, mais également l’Algérie, la France et les États-Unis. Le Maroc étant un pion essentiel des Occidentaux dans la région, Washington soutien le coup de force d’Hassan II et fait pression sur l’Espagne, encore franquiste, pour que, sans consulter les populations sahraouies, Madrid accepte le transfert de la souveraineté du Sahara espagnol au Maroc. Une politique qui s’inscrit dans les objectifs géostratégiques et néocoloniaux contre les luttes de libération nationale. L’Accord de Madrid, que la France avalise, non seulement nie les droits du peuple sahraoui, mais crée une situation de tensions. Dès l’occupation par le Maroc du Sahara occidental, l’Algérie a soutenu le Front Polisario pour des raisons de principe, le droit des Sahraouis à leur autodétermination et géopolitiques, l’Accord de Madrid est qualifié par Alger de « complot impérialiste » visant « à réaliser une façade atlantique reposant sur l’axe Paris-Madrid-Rabat. »
Depuis le coup de force du Maroc, rituel onusien, chaque année le conseil de sécurité – soulignant que la consolidation du statu quo n’est pas acceptable – vote à l’unanimité un mandat prorogeant la Mission des Nations unies (MINURSO) pour l’organisation d’un référendum au Sahara occidental. 82 États ont reconnu la République arabe sahraouie démocratique, dont la Mauritanie qui a renoncé à revendiquer une partie du Sahara occidental. La RASD est membre de l’Union africaine, mais ni la Ligue arabe, ni l’Union du Maghreb arabe, ni aucun pays européen[1] ou État membre du Conseil de sécurité ne reconnaissent la République sahraouie et, double langage, manœuvres diplomatiques, pressions politiques et économiques, 48 États ont retiré leur reconnaissance de la République arabe sahraouie démocratique, c’est là une victoire des politiques coloniales.
En 1991, un cessez-le-feu est signé qui prévoit l’organisation du référendum encadré par la Mission des Nations unies (MINURSO), mais en 2003, la MINURSO ayant refusé d’inscrire sur les listes électorales les dizaines de milliers de Marocains, colonisation de peuplement, occupant le Sahara occidental, le Maroc rejette le projet de référendum. La situation est dans l’impasse.
Au droit international et humanitaires bafoués – occupation des territoires sahraouis par le Maroc et répression du peuple sahraoui par le pouvoir chérifien – s’ajoute l’impunité coloniale. Le Maroc a construit un mur de sable, laissant seulement 20% du territoire aux Saharouis. Depuis plus de 40 ans ils sont des dizaines de milliers à vivre dans des camps au Sahara Occidental ou exilés dans celui de Tindouf en Algérie.
Le procès de Gdeim Izik illustre les atteintes par le Maroc au droit humanitaire et au droit de la défense des militants sahraouis. En 2010, les militaires marocains démantèlent le camp de Gdeim Izik qui a compté jusqu’à 15 000 personnes ; en résultent de violents affrontements et des victimes tant du côté des civils que de celui des forces de l’ordre. 25 militants sont arrêtés, ils sont condamnés en 2013 par un tribunal militaire à des peines allant de 20 ans à la perpétuité. Des associations des droits de l’homme dénoncent un procès inéquitable et « de graves irrégularités » dans la procédure. En 2016, la Cour de cassation annule les condamnations et ordonne un nouveau procès devant une juridiction civile. La défense demande de retirer du dossier les procès-verbaux obtenus sous la torture, ce que confirme la condamnation du Maroc par le Comité de l’ONU contre la torture en décembre 2016 à la suite de la plainte déposée par Naâma Asfari, militant sahraoui condamné à 30 ans d’emprisonnement[2]. Le procès en mai 2017 s’ouvre dans un climat tendu, des avocats et représentants d’associations des droits de l’homme sont refoulés, des avocates françaises sont expulsées du prétoire alors qu’elles sont en train de plaider. Après une quinzaine d’audiences, les accusés « ont manifesté leur volonté de ne plus y assister », car « ce procès est une farce, marquée par énormément d’irrégularités », décision de retrait suivie par leurs avocats. La Cour désigne alors quatre avocats d’office et poursuit le procès condamnant les militants sahraouis à des peines semblables à celles précédemment requises.
Selon Hélène Legeay, responsable Maghreb et Moyen-Orient à l’ACAT[3] : « L’illégalité de l’occupation marocaine du Sahara occidental est la question sensible au Maroc. Le royaume chérifien s’emploie depuis des années à empêcher toute discussion sur le sujet à coups d’arrestations, tortures, condamnations, diffamation et expulsion d’observateurs étrangers. » D’où les questions : quand sera-t-il mis fin à tant de prévenances à l’égard du régime marocain ? Quand sera-t-il mis fin au silence concernant les droits du peuple sahraoui ? Jusqu’à quand l’Europe, nos gouvernements ignoreront-ils les résolutions de l’ONU et le jugement rendu par la Cour internationale de justice sur le droit à l’autodétermination du peuple sahraoui ?
[1] Seulement deux pays européens ont reconnu dans les années 1980 la RASD, la Yougoslavie et l’Albanie, reconnaissance retirée en 2004. [2] La femme de Naâma Asfari, Claude Mangin, plusieurs fois refoulée du Maroc se voit depuis un an interdite de visites à son mari. [3] Action des chrétiens pour l’abolition de la torture.