Ces crimes d’état qui restent impunis

François Hollande, à l’encontre des règles de bienséance présidentielles a transgressé un « secret d’État », l’un des moins bien gardés il est vrai : il a ordonné des « opérations homo ». En quoi consistent ces opérations ? Il s’agit d’une action terroriste menée par les services pour éliminer une personne désignée. L’âge d’or des opérations homo, fut la période de la guerre d’Algérie et de la décolonisation, lors de laquelle, couvertes sous l’appellation de « Main rouge », on compta des centaines d’opérations homo[1].

C’est là un terrorisme d’État qui bénéficie d’une impunité et révèle une collusion des pouvoirs dans un nauséabond donnant donnant : je tue chez toi, ce qui te donne le droit de tuer chez moi. Ainsi, la France – comme d’autres États, se réclamant ou non de la démocratie – en procédant à de telles opérations hors ses frontières, ouvre le champ à un droit de réciprocité de conduire des opérations homo sur son territoire.

Crime d’État et impunité, il y a quatre ans, le 9 janvier 2013, Sakine Cansiz[2], Fidan Doğan et Leyla Söylemez, trois militantes kurdes étaient assassinées dans Paris. La juge chargée de l’instruction a clos son enquête en mai 2015 et renvoyé l’affaire devant la Cour d’assises. La justice, sous l’insistance des avocats et des familles des victimes, a finalement fixé la date du procès au 5 décembre 2016. Dix-neuf mois après ! Avant de le repousser, sans motivation, au 23 janvier 2017. Le 17 décembre, les parties civiles sont informées que le prévenu, on le savait gravement malade, est décédé en prison. Il n’y aura pas de procès du suspect ni de ses commanditaires.

Le fait est fâcheux vu l’état de violence en Turquie et, dans ce moment de dérive totalitaire d’Erdogan, il est accablant sur le fonctionnement de la justice. Ce manquement trouble d’autant plus que ce triple crime s’ajoute à une longue liste de crimes politiques commis en France depuis les années 1960, eux aussi restés impunis.

Ainsi en est-il, sinistre chronologie, pour Mehdi Ben Barka, fondateur de l’Union nationale des forces populaires au Maroc et responsable de la préparation de la Tricontinentale, Mario Bachand, militant du Front de Libération du Québec, Mahmoud Al Hamchari, représentant en France de l’Organisation de libération de la Palestine, Basil Al Kubeisi, membre du Comité central du Front populaire de libération de la Palestine, Mohammed Boudia, militant du FLN algérien et militant internationaliste pour la cause palestinienne, Outel Bono, opposant tchadien, Mahmoud Sâleh, lui aussi représentant de l’Organisation de Libération de la Palestine, Henri Curiel, militant internationaliste pour la cause algérienne et palestinienne, Jorge Cedron, cinéaste et militant contre la dictature argentine, Dulcie September, représentante de l’ANC sud-africaine en France, Ali André Mecili, dirigeant du Front des Forces Socialistes algérien, Atef Bsissou, membre du Conseil révolutionnaire du Fatah, Kandiah Perinpanathan, Kandiah Kesenthiran et Nadarajah Mathinthiran, responsables en Europe des Tigres de libération de l’Eelam tamoul. Ainsi en est-il pour vingt-cinq militants basques lors d’opérations du GAL, ainsi en est-il pour Sakine Cansiz, Fidan Dogan et Leyla Soleymez.

Fidan Doğan

De telles opérations ne s’improvisent pas, elles demandent moyens et préparations pour les phases d’approche, d’infiltration, d’exécution et de repli. Comment croire que les protagonistes de ces assassinats n’aient jamais laissé de traces ? Comment comprendre qu’aucun coupable, commanditaire ou parrain – pour reprendre le langage de la mafia – n’ait jamais été traduit devant un tribunal, qu’aucun n’ait jamais été condamné, même par contumace ? Aucun ? Non. Deux procès en Cour d’assises peuvent être cités dont les assassins, à défaut des commanditaires ont été jugés et condamnés. Ce fut le cas pour les assassins de Chapour Bakhtiar, qui fut Premier ministre du Chah d’Iran, et de Redza Mazlouman, ancien sous-secrétaire d’État à l’éducation du même Chah d’Iran. Ces deux exemples plus que nous contenter, nous interrogent sur l’équité de la justice, sur une discrimination, politicienne et idéologique, selon des accointances politiques.

Des avocats, Antoine Comte, Maurice Buttin, Linda Weil-Curiel, Henri Choukroun, Henri Leclerc, Jean-Louis Malterre, d’autres, disparus, Nicole Dreyfus, Marcel Manville, d’autres encore, ont lutté pour que la vérité soit connue et que les responsables, États ou officines, soient désignés. Depuis les années 1960, présidents de la République, gouvernements et gardes des Sceaux se sont succédés, mais avocats et parties civiles se sont heurtés dans leur recherche de justice à l’opacité des services étrangers, aux eaux troubles des réseaux barbouzes ou au secret d’État et, malgré leur opiniâtreté, leurs efforts n’ont abouti qu’à un non-lieu ou à l’absence de procès, une seconde mort pour les victimes.

Logique de guerre, logique de violence, logique de terrorisme… est-ce ainsi que les hommes vivent ?

 

 

[1] Voir Mémoire éclatée, Éditions d’En Bas, p. 121 à 124.
[2] Voir article sur le site www.kedistan.net.