Le gouvernement français est un ardent défenseur des résolutions de l’ONU. Que ce soit lors de la première guerre d’Irak, au Rwanda, au Kosovo, au nom du « droit d’ingérence humanitaire », en Libye ou en Syrie, au nom de « la responsabilité de protéger », en Afghanistan, pour participer à la coalition contre une agression terroriste, en Côte d’Ivoire, contre des violations de droits de l’homme, le gouvernement français intervient en invoquant le cadre d’une résolution du Conseil de sécurité. Toutefois, la référence aux décisions de l’ONU s’arrête aux Comores.
Un rappel historique s’impose à ce sujet, les Comores sont un archipel dans l’Océan Indien constitué de quatre îles : Mayotte, colonisée par la France en 1841, Grande Comore et Mohéli, colonisées en 1886 et Anjouan, colonisée en 1909. Les indépendantistes comoriens revendiquent le droit à l’indépendance des quatre îles dans le cours de la décolonisation de l’Afrique. Mais, en 1958, année de la constitution de la Communauté française, les Comores ne deviennent pas autonomes, comme d’autres États africains, ou indépendants comme la Guinée. ; avec la Côte française des Somalis, la Nouvelle-Calédonie, la Polynésie, Wallis et Futuna et Saint-Pierre et Miquelon, ils constituent les territoires français d’outre-mer.
Poursuivant leur lutte pour le droit à l’autodétermination, en 1972 les indépendantistes remportent les élections et, dans une Déclaration commune, le Mouvement de libération des Comores et la France acceptent, en 1973, que la population soit consultée sur le statut de l’archipel. Cette même année, l‘Assemblée générale de l’ONU adopte la résolution 3161 qui prend note de la Déclaration commune entre la France et les Comores et « affirme l’unité et l’intégrité territoriale de l’archipel des Comores ». En 1974, une nouvelle résolution de l’assemblée générale de l’ONU « réaffirme le droit inaliénable du peuple de l’archipel des Comores à l’autodétermination et à l’indépendance. » Cette résolution rappelle qu’une consultation doit être organisée et précise qu’elle « sera organisée sur une base ‘globale de l’archipel’ ». Les Nations Unies se prononcent sans ambiguïté, pour l’indivisibilité des Comores.
La consultation se déroule le 22 décembre 1974, avec 154 184 contre 8 853, soit 95% des votants, les électeurs se prononcent pour l’indépendance. 8 783 des 8 853 non, sont décomptés sur l’île de Mayotte où 62% des électeurs votent non. Le 6 juillet 1975, les députés des Comores proclament l’indépendance du pays, mais Mayotte est maintenue sous administration française. Le 12 novembre 1975, le Conseil de sécurité des Nations Unies par 14 voix contre 0 – la France refusant de participer au vote -, admet les Comores comme membre des Nations unies. Vote confirmé par l’Assemblée générale dont la résolution réaffirme avec force « la nécessité de respecter l’unité et l’intégrité territoriale de l’archipel des Comores, composé des îles d’Anjouan, de la Grande Comore, de Mayotte et de Mohéli ».
Si le gouvernement Français reconnaît l’indépendance des Comores, au mépris de ces Résolutions il maintient Mayotte sous son autorité. Le 6 février 1976, la France oppose son veto à une résolution du Conseil de sécurité demandant la rétrocession de Mayotte aux Comores et de renoncer à un second référendum dans l’île de Mayotte. Ignorant la demande du Conseil de sécurité, la France organise ce second référendum qui donne une large majorité au maintien de Mayotte dans la République française, seules 13 voix s’y seraient opposées ?!? Malgré les protestations internationales, la France érige alors Mayotte en collectivité territoriale de la République.
Contre ce fait accompli, l’Assemblée générale de l’ONU, adopte le 21 octobre 1976 par 102 voix contre 1 et 28 abstentions, la résolution : 31/4 ci-dessous :
« Considérant que les référendums imposés aux habitants de l’île comorienne de Mayotte constituent une violation de la souveraineté de l’État comorien et de son intégrité territoriale,
Considérant que l’occupation par la France de l’île comorienne de Mayotte constitue une atteinte flagrante à l’unité nationale de l’État comorien, membre de l’Organisation des Nations Unies,
Considérant qu’une telle attitude de la France constitue une violation des principes des résolutions pertinentes de l’Organisation des Nations Unies…, relative à l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux, qui garantit l’unité nationale et l’intégrité territoriale de ces pays,
La résolution
Premièrement. Condamne les référendums du 8 février et du 11 avril 1976 organisés dans l’île comorienne de Mayotte par le Gouvernement français et les considère comme nuls et non avenus…
Deuxièmement. Condamne énergiquement la présence de la France à Mayotte, qui constitue une violation de l’unité nationale, de l’intégrité territoriale et de la souveraineté de la République indépendante des Comores ;
Troisièmement. Demande au Gouvernement français de se retirer immédiatement de l’île comorienne de Mayotte, partie intégrante de la République indépendante des Comores, et de respecter sa souveraineté. »
Le 13 mai 1977, les Comores, séparées de Mayotte, se proclament « république démocratique, laïque et sociale ». Néanmoins, bien que, du 21 octobre 1976 au 28 novembre 1994, quatorze résolutions des Nations unies aient réaffirmé la souveraineté de l’Union des Comores sur l’île de Mayotte, les gouvernements français successifs, violant ouvertement les Résolutions de l’ONU vont poursuivre une politique coloniale qui aboutit en 2011 à ce que Mayotte devienne le 101e département français, ce qui suscite d’importantes manifestations. Comme il a été enseigné de 1848 à 1962 aux enfants français que « l’Algérie c’est la France » on enseigne aujourd’hui que « Mayotte c’est la France ».
Au non-respect, reconnu et affirmé par les Nations unies de l’intégrité du territoire comorien, s’ajoute l’instauration le 18 janvier 1995 du visa Balladur qui empêche les Comoriens de venir librement à Mayotte. En application de cette mesure, niant délibérément que ces « étrangers » sont Comoriens et donc « chez eux » à Mayotte, des dizaines de milliers de Comoriens sont expulsés de Mayotte étant considérés comme des « étrangers irréguliers ». En leur refusant des visas pour circuler dans leur pays, la France, non seulement bafoue les résolutions de l’ONU, mais porte la responsabilité que depuis vingt-cinq ans, le canal du Mozambique qui sépare Anjouan de Mayotte, précédant celui de la Méditerranée, est le « plus grand cimetière marin. » 15 000 Comoriens seraient morts noyés. C’est ironisant sur cette tragédie qu’Emmanuel Macron a cyniquement déclaré : « Le kwassa-kwassa[1] pêche peu, il amène du Comorien, c’est différent. » Le colonialisme n’est pas mort avec le « nouveau monde ».
Violation des résolutions de l’ONU sur l’intégrité des Comores et visa Balladur sont les deux volets du maintien dans l’archipel des Comores d’un système colonial. Il y a une responsabilité française à cette situation, mais cette responsabilité est aussi européenne car, en 2014, Mayotte est devenue une « région ultrapériphérique de l’Union européenne »[2]. En légitimant cette occupation, Les gouvernements européens couvrent la violation du droit international que représente la départementalisation de Mayotte.
L’ONU, dans son rôle, s’est prononcée sur la question des Comores, mais, toujours dans son rôle, elle doit faire appliquer la résolution de l’Assemblée générale 1514 du 14 décembre 1960 qui stipule que : « Toute tentative visant à détruire partiellement ou totalement l’unité nationale et l’intégrité territoriale d’un pays est incompatible avec les buts et les principes de la Charte des Nations Unies ». En 2011, le Secrétaire général de l’ONU Ban Ki-moon a déclaré : « L’achèvement du processus de décolonisation nécessitera des efforts concertés de toutes les parties concernées : d’abord et avant tout du Comité spécial de l’ONU, des puissances administrantes et des peuples des territoires non autonomes ». Nous sommes en 2019.
[1] Frêles embarcations sur lesquelles périssent de nombreux migrants comoriens tentant de rejoindre Mayotte. [2] Une région ultrapériphérique est un territoire de l’Union européenne situé au dehors du continent, statut qui engage l’ensemble des États européens dans la violation des Résolutions de l’ONU concernant Mayotte.